Velours et le cerisier,

La première fois que Velours a donné la vie, la mise bas s’est passée sous le cerisier de Bel’Âne. Il était si beau, ce bébé Colorado conçu en Floride qu’il est resté à  l’élevage pour devenir un superbe étalon. C’était au mois de juillet 2012, les débuts de l’élevage.

Depuis, plusieurs cabanes ont été construites, chacune servant de maternité. Le paddock de la maternité 1 englobe le fameux cerisier. Le hasard a voulu pour que les 2 naissances suivantes, Velours occupait ce premier box. Les naissances se sont passées sans problèmes, Velours est une très bonne maman, et toujours d’un calme olympien pendant ses mises-bas.

Pour la quatrième naissance, la maternité 1 étant occupée par Braise et Girouette, nous décidons d’isoler Velours dans la maternité 2. Quelle erreur ! Velours s’est transformée en véritable furie ! Elle brayait, voulait sortir, tambourinait le sol avec son pied, défonçait les barrières. On ne la reconnaissait pas. C’était au mois de mai, il était 16h, le soleil était encore haut dans le ciel. Nous avons d’abord pensé qu’elle ne voulait pas se retrouver seule et appelait ses copines. Nous avons donc rapatrié en catastrophe, le troupeau qui pâturait dans un pré voisin. Velours était donc juste séparée du troupeau par une barrière en bois, mais ça ne lui convenait toujours pas. Elle devenait de plus en plus folle. On avait l’impression qu’une force intérieure la faisait sortir de ses gonds. Elle qui était la placidité même était devenue méconnaissable. On sentait bien que la naissance était imminente mais on n’arrivait plus à la contrôler. Que faire ? On lui a donc ouvert la porte de la maternité et on a attendu que la naissance se passe, là, au milieu du troupeau. On avait de la chance, il faisait encore jour, il faisait beau, on allait surveiller. Mais pas de naissance. Toujours hyper énervée, Velours faisait des allers-retours incessants entre la maternité 1 et nous. Arrivée à la maternité 1, elle lançait trois braiments, puis revenait vers nous en courant, nous poussait avec sa tête. Elle voulait visiblement nous dire quelque chose mais on ne comprenait pas. Alors elle faisait les cent pas, plutôt les cent galops entre la maternité 1 et nous. Jusqu’à ce qu’une étincelle vienne se poser sur nous : Le cerisier ! Elle veut son cerisier ! Alors on a sorti en vitesse la pauvre Braise et sa fille Girouette qu’on a rapatriées dans la maternité 2. On les a presque portées en poids car elles ne comprenaient pas ce déménagement inopiné. Pas le temps de nettoyer, pas le temps de changer les draps. On a juste eu le temps d’ouvrir la porte du paddock : Velours s’est engouffrée à toute hâte dans le box de la maternité 1, direction le cerisier. A peine couchée…sous le cerisier, elle a expulsé une  « Gazette de Bel’Âne », jolie petite ânesse aux jambes rayées, qui s’est levée aussi vite que ce qu’elle est née. Tout ça en 5 minutes devant nos yeux médusés. Il était 19h30. Il nous aura fallu 3h30 pour comprendre que cette naissance « imminente » ne se passerait que sous le cerisier.

A partir de ce jour, le cerisier est devenu la propriété de Velours. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, les naissances suivantes se sont passées sous le cerisier. Et…mieux que ça,  quand on voit que Velours commence à prendre son poste sous le cerisier, on sait que la naissance est imminente !

Certains se conforteront dans l’idée que l’âne est un animal têtu. Certes, à la vue de cet exemple, on pourrait le dire, mais « têtu », n’est, une fois de plus, pas le mot adapté. Car ce n’est pas sur un « coup de tête » uniquement qu’on serait capable de retenir dans son corps un bébé prêt à naître. Il faut pour cela une sacrée force intérieure qui n’a rien à voir avec l’entêtement. Une force intérieure qui vous guide en vous disant que pour la sécurité de votre enfant vous devez faire ce choix- là et pas un autre. Et ça, ce n’est pas de l’obstination aveugle ou de l’indocilité, mais de la conscience, une intelligence fine et intuitive de l’existence et de la réalité des choses.